La “déconstruction” n’a rien d’un effet de mode ou d’une lubie idéologique. C’est simplement le fait de prendre du recul sur tout ce qui nous a façonnés — notre famille, l’école, les médias, nos amis. Cette prise de recul permet de voir clairement quelles croyances nous enferment dans des réflexes sexistes, qu’on en soit conscient ou non. L’IFOP(1) parle d’un véritable processus de réflexion : il s’agit d’observer son éducation et d’accepter de la questionner.
Depuis le mouvement #MeToo, ces réflexions se traduisent aussi dans nos comportements. Les règles implicites de séduction et de relation évoluent : le consentement n’est plus sous-entendu, il est explicite et central. L’époque où un homme insistait lourdement pour obtenir un numéro de téléphone s’efface peu à peu. Selon l'enquête de l’IFOP(2), une majorité de Français affirment avoir déjà changé leurs pratiques, en étant plus attentifs aux signaux et à la notion de consentement.
Mais ce mouvement ne fait pas l’unanimité. En parallèle, les discours masculinistes progressent, surtout sur Internet et sur les réseaux sociaux. Ils reprennent des récits anciens — “le féminisme va trop loin”, “les hommes sont devenus les nouvelles victimes” — et nourrissent une polarisation entre générations.
Être un “homme déconstruit”, ce n’est pas coller une étiquette sur soi, ni chercher à cocher une liste de bonnes actions. C’est avant tout un cheminement personnel, une démarche de remise en question.
Concrètement, cela signifie regarder en face les croyances qu’on a intégrées dès l’enfance : l’idée qu’un homme doit toujours être fort, performant, maîtriser ses émotions, avoir le contrôle sur lui-même et parfois sur les autres. Ces conditionnements viennent de la famille, de l’école, des médias, etc.
Un homme déconstruit choisit de prendre du recul sur ces héritages, pour se demander : est-ce que cela me correspond vraiment, ou est-ce juste un rôle appris ?
Ce travail de questionnement ne reste pas théorique. Il se traduit dans le quotidien par des changements concrets :
Selon l’IFOP(2), la déconstruction doit être vue comme un processus continu, une réflexion active sur son schéma d’éducation et ses comportements — et non comme une identité figée ou un badge à brandir.
Le masculinisme se définit comme une forme particulière d’antiféminisme. Il ne s’attaque pas à toutes les femmes, mais vise principalement les féministes et les avancées obtenues par leurs luttes. Ce courant prend appui sur l’idée que le féminisme aurait bouleversé l’équilibre entre hommes et femmes, au détriment de ces derniers.
Les chercheurs de la Sorbonne Université(3) ont identifié trois grands ressorts rhétoriques utilisés par le discours masculiniste :
En réalité, le masculinisme cherche à maintenir ou à rétablir un système de domination masculine, en niant les inégalités encore présentes dans la société. C’est un discours qui s’inscrit en réaction vis-à-vis des changements portés par les mouvements féministes et qui alimente une polarisation croissante.
Le mot “mascu” désigne, souvent de façon péjorative, les communautés ou influenceurs qui diffusent des idées masculinistes en ligne (réseaux sociaux, podcasts, forums). Leur discours met en avant une supposée “crise de la masculinité”, la figure du mâle alpha comme modèle, et s’oppose frontalement au discours féministe.
Ces récits séduisent certains jeunes hommes en quête de repères(4), mais nourrissent surtout des logiques de domination masculine et une opposition persistante entre hommes et femmes.
Au Moyen Âge, la société repose sur un ordre fortement patriarcal, où la domination masculine structure la vie quotidienne.
Le pouvoir des hommes se fonde sur plusieurs piliers : le lignage et l’héritage, qui garantissent la transmission des biens et du nom ; la guerre, qui valorise la force et la virilité ; et le clergé, qui consacre l’autorité masculine dans la famille comme dans la société. La virilité(5) s’adosse ainsi au pouvoir politique, à la propriété et à la religion.
Dans ce contexte, remettre en cause ce système était quasiment impensable, car il s’agissait d’un ordre considéré comme naturel et immuable.
Après la Seconde Guerre mondiale, un autre modèle de masculinité s’impose : celui de “l’homme pourvoyeur”. L’homme incarne alors la figure centrale du foyer grâce à son rôle économique, tandis que la femme est assignée aux tâches domestiques et à l’éducation des enfants.
Ce modèle repose sur une répartition stricte des rôles et sur une forte domination masculine(5) dans l’espace public et privé. Mais à partir des années 1960 et 1970, les vagues féministes viennent remettre en cause cette organisation : droit au travail, émancipation sexuelle, lutte pour l’égalité. Ces transformations bousculent les représentations, et provoquent en retour des récits de “crise de la masculinité”, où certains hommes se sentent dépossédés de leur rôle traditionnel.
Dans nos sociétés contemporaines, le modèle unique de l’homme s’est effrité. On parle désormais de masculinités plurielles : certains hommes s’engagent pour plus d’égalité et adoptent une posture réflexive, d’autres restent attachés à des repères traditionnels. Mais cette pluralisation s’accompagne aussi de contre-mobilisations.
Le néo-virilisme(5), souvent lié à des mouvances d’extrême droite, cherche à réhabiliter un patriarcat présenté comme “naturel”. Ces courants refusent de remettre en cause la hiérarchie entre hommes et femmes et tentent de restaurer des schémas de domination masculine. Cela témoigne de la persistance des résistances face aux changements sociaux portés par le féminisme et par les nouvelles générations.
Depuis des siècles, les hommes sont conditionnés à se définir par la performance : réussir au travail, gagner de l’argent, avoir un corps fort, être performant sexuellement. Cette pression constante nourrit l’anxiété, l’isolement et une forme de sur-adaptation.
Au lieu de se demander qu'est-ce qu'un homme déconstuit, beaucoup restent bloqués dans un modèle. Ce modèle nie leur vulnérabilité. Il limite aussi leur accès à l'expression des émotions.
Les recherches montrent que les récits de “crise de la masculinité” (5) servent souvent à justifier le statu quo et à refuser l’égalité entre les sexes, plutôt qu’à décrire une réalité objective (Dupuis-Déri, 2012).
La déconstruction masculine doit aussi passer par une prise de conscience de l’héritage culturel et sociétal.
La religion, l’école, les médias et les groupes de pairs transmettent et renforcent des stéréotypes de genre : les garçons doivent être forts et courageux, les filles douces et attentives.
Le sport, par exemple, reste un vecteur puissant de normes viriles, où la compétition et la force physique priment encore sur la coopération et la mixité(5). Ces modèles enferment aussi bien les hommes que les femmes dans des rôles figés et alimentent les rapports de domination.
Le mouvement #MeToo a révélé l’ampleur des violences sexistes et sexuelles. Il a aussi placé de nombreux hommes face à leurs comportements. Beaucoup oscillent aujourd’hui entre la peur de mal faire et l’envie d’être justes vis-à-vis des femmes. Une étude IFOP pour le magazine Elle montre qu’un quart des Français déclarent avoir modifié leur manière de séduire depuis #MeToo, en accordant davantage d’attention au consentement (6).
Ce tâtonnement révèle un besoin urgent d’outils pratiques : communication ouverte, partage des charges mentales, apprentissage du respect mutuel. Ces changements ne sont pas seulement des ajustements sociaux, mais un levier essentiel pour alléger le poids que font peser les attentes traditionnelles sur les hommes.
Le masculinisme se présente souvent comme une réponse à la “crise de la masculinité”. Mais en réalité, il fausse le diagnostic. Au lieu de voir les inégalités entre hommes et femmes, il dit que l'égalité est déjà là. Il va même jusqu'à dire que les hommes sont maintenant les nouvelles victimes.
Ce discours ne permet pas de réfléchir sur ce qu'est un homme déconstruit. Il sert surtout à garder des rôles rigides et à rétablir une hiérarchie basée sur la domination masculine.
Selon Le Monde(7), le regain actuel du masculinisme n’a rien d’anecdotique. Il s’agit d’une pensée politiquement structurée, ancrée dans une longue histoire de résistance aux mouvements féministes, et aujourd’hui reliée à des mouvances réactionnaires et identitaires.
Ces récits – “les hommes sont les nouvelles victimes”, “le féminisme opprime” – bloquent les solutions concrètes. Ils détournent l’attention des vrais enjeux :
Comme le rappelle la Sorbonne Université, ces discours sont une réaction de défense face aux progrès sociaux, et visent à éviter de remettre en question la masculinité traditionnelle, perçue comme menacée (3).
Interroger et dépasser les normes masculines, c’est sortir d’une logique défensive. Cela permet d’ouvrir une vraie réflexion. Comment construire une masculinité qui repose sur la liberté, l’égalité et la responsabilité, et non sur la domination ?
La déconstruction masculine a d’abord un effet direct sur la relation que les hommes entretiennent avec eux-mêmes. Elle aide à se libérer d'une "carapace" liée aux stéréotypes de genre. Il ne faut jamais montrer de faiblesse. Il faut garder le contrôle et cacher ses émotions.
En disant “je ne sais pas” ou “je me suis trompé”, l’homme devient plus authentique. Il montre une meilleure cohérence entre ses valeurs et ses actions. Ce processus favorise une meilleure régulation émotionnelle et contribue au bien-être psychologique.
Une étude de l’IFOP, relayée par le magazine ELLE(6), montre d’ailleurs que beaucoup d’hommes déclarent avoir ajusté leurs comportements depuis le mouvement #MeToo, notamment en matière de respect et de consentement.
La déconstruction ne transforme pas seulement le rapport à soi, elle influence aussi profondément les relations avec les autres. En apprenant à écouter, à partager et à coopérer, les hommes développent des liens plus équilibrés et moins marqués par la domination implicite. Cela réduit aussi l’évitement émotionnel, ce mécanisme qui pousse encore beaucoup d’hommes à taire leurs sentiments dans leurs amitiés, en famille ou au travail.
Du côté éducatif, plusieurs initiatives montrent l'importance de donner aux jeunes des outils. Ces outils les aident à comprendre les discours masculinistes et à renforcer leur esprit critique. La Fondation Jeunes en Tête(7) souligne que cela aide les adolescents à construire des relations plus saines et respectueuses.
Dans la sphère intime, les effets de la déconstruction sont particulièrement visibles. Elle favorise un climat relationnel basé sur le consentement explicite, la communication claire et l’égalité dans les tâches quotidiennes. Ces éléments renforcent la sécurité émotionnelle dans le couple, tout en nourrissant un désir plus serein et durable.
Depuis #MeToo, un quart des Français disent avoir changé leur façon de séduire(6). Ils font plus attention aux signaux de l'autre et à l'importance d'un consentement clair. Cette évolution traduit un changement culturel profond dans la manière dont les hommes envisagent leurs relations amoureuses et sexuelles.
La déconstruction masculine n’est pas un concept abstrait. Elle peut se traduire au quotidien par un travail de réflexion et des pratiques concrètes. Voici quelques pistes pour amorcer ce cheminement.
Plusieurs associations et programmes éducatifs proposent des outils pour aider les jeunes à déminer l’emprise masculiniste et à développer leur esprit critique. La Fondation Jeunes en Tête(8) insiste notamment sur l’importance de donner aux adolescents des clés de compréhension pour qu’ils ne se laissent pas piéger par des discours simplistes ou radicaux sur la masculinité.
La déconstruction masculine n’est pas une liste d’objectifs à cocher ni un “badge” à obtenir. C’est un chemin personnel, parfois inconfortable, mais toujours fécond, où l’on avance pas à pas, avec curiosité, écoute et volonté de remettre en question ses habitudes.
Ce processus ne vise pas à perdre sa masculinité, mais à l’élargir. Il permet de mieux se vivre soi-même, de mieux comprendre les autres, et d’aimer avec plus de justesse et de liberté. C’est une invitation à sortir des vieux schémas, à se libérer des stéréotypes de genre et à inventer une manière d’être homme plus sereine et plus authentique.
La ligne directrice est simple : liberté et responsabilité. On ne renonce à rien d’essentiel, on gagne au contraire en qualité de lien, en profondeur dans les relations, et en paix intérieure.
Alors, plutôt que de chercher une définition figée de qu'est-ce qu'un homme déconstuit, souvenez-vous que la réponse se trouve dans le chemin lui-même : avancer, se questionner, et rester ouvert à la rencontre et à la différence.
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Devenez épanouis 💜
1 - Ifop - Observatoire Wyylde de la déconstruction
2 - Ifop - Les Française face à la déconstruction masculine & l'impact de #MeToo
3 - Université La Sorbonne Paris - Masculinisme : une longue histoire de résistance aux avancées féministes
4 - Le Monde - Des « incels » aux « looksmaxxers », quels sont les différents courants du masculinisme en ligne ?
5 - Cairn - La crise de la masculinité
6 - Ifop - Séduction et galanterie à l'ère Post #MeToo
7 - Le Monde - L’inquiétant regain du masculinisme, cette pensée réactionnaire aux origines millénaires
8 - Fondation Jeunes en tête – Les jeunes face aux discours masculinistes : 3 pistes pour les accompagner
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